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Capitaines courageux – Kipling – Extraits envoyés par MES

Portrait de Virginie

 

 Je crois que le mieux est de se mettre à l’abri, murmura-t-il enfin. Je donnerais un mois de paye pour que cette brume se lève. Il se passe dans le brouillard des choses que l’on ne voit pas en temps clair… des sanglots et des huées, et autres choses semblables. (…)

- Tai-ais-toi, Dan ! (…) Ah ! que je voudrais être rendu sain et sauf à bord, quitte à recevoir une dégelée de la part de l’oncle Salters !

- Ils vont se mettre à notre recherche d’ici un instant ; passe-moi le turlututu. 

Dan prit la trompette de fer blanc, mais fit une pause avant de souffler.

- Vas-y, dit Harvey. Je n’ai pas envie de rester ici toute la nuit.

(…) - Il y a un homme d’en bas de la côte, qui m’a dit qu’une fois il était sur une goélette où il n’osait pas seulement souffler de la corne pour appeler les doris, à cause que le patron(…) -un capitaine qui l’avait commandée cinq ans auparavant – avait noyé un mousse contre le bord dans un accès d’ivresse et, toujours depuis, ce mousse ramait aussi le long du bord et criait : Doris ! doris !  avec les autres. 

 Doris ! Doris !  cria une voix étouffée dans la brume.

Ils s’accroupirent de nouveau, et la trompette tomba de la main de Dan.

- Tiens-bon !   cria Harvey, c’est le cuisinier.

- Je me demande ce qui a bien pu me faire penser à cet imbécile de conte, dit Dan. C’est le docteur, c’est clair.

-Dan ! Danny ! Oooohé, Dan ! Harvey ! Harvey ! Oooohé, Haaarveey !

-Nous sommes ici, chantèrent en chœur les deux gamins.

Ils entendaient les avirons ; mais ils ne purent rien voir jusqu’à ce que le cuisinier, luisant et dégouttant, arrivât sur eux.

-Qu’est-ce qui s’est passé ? dit-il. Vous allez être battus en rentrant.

-C’est tout ce que nous demandons. C’est après quoi nous soupirons, dit Dan. Tout ce qui peut nous arriver à bord est assez bon pour nous, pourvu que nous y soyons. Nous avons eu une compagnie quelque peu démoralisante.  (…)

Jamais le petit We’re Here roulant ne parut plus délicieux home que lorsque le cuisinier, né et élevé dans les brumes, les y ramena à force de rames. De la cabine sortait un chaud halo de lumière, et de l’avant une bonne odeur de cuisine, et cela vous mettait au septième ciel d’entendre Disko et les autres, tous bien vivants et solides, penchés sur la lisse, leur promettre une raclée de première classe. Mais le cuisinier était un noir passé maître en matière de stratégie. Il ne fit pas accoster les doris avant d’avoir fourni les points les plus saillants de toute l’affaire, et il expliqua, tandis qu’il reculait et cognait dur tout autour de la voûte, comme quoi Harvey était un porte-veine à réduire à néant toute espèce de malchance. Aussi arrivèrent-ils à bord plutôt sous l’apparence de héros quelque peu inquiétants ; et, au lieu de les rosser pour avoir causé de l’ennui, chacun se mit à leur adresser des questions. Little Pen y alla d’un véritable discours sur la folie des superstitions ; mais il eut contre lui l’opinion publique, qui fut tout en faveur de Long Jack, lequel raconta les plus atroces histoires de revenants jusqu’à près de minuit.

P 190 à 193