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Les pommes sauvages de Henry D. Thoreau par FL

Portrait de Virginie

En marge de la réunion inter-bibliothèques qui s’est tenue à st Auban le 2 mai dernier, sur le thème des « livres qui changent la planète » et plus généralement des acquis et perspectives de la lutte pour l’environnement, je souhaite partager le plaisir que j’ai éprouvé à lire « Les pommes sauvages » de Henry D. Thoreau, écrivain américain du XIXè, considéré par beaucoup comme un des fondateurs de l’écologie et dont nous reparlerons, si je retrouve la 25ème heure de la journée que j’ai égarée quelque part.

Mince plaquette de 77 pages,

notes, photo et titres compris, éditée par Finitude en 2009, elle comporte le plus joli « Achevé d’imprimer » que j’aie jamais lu : «… juste après le premier dégel qui, d’après Thoreau, remplit les pommes d’un cidre riche et sucré procurant davantage de plaisir que le vin ». Que l’imprimeur lui-même se soit laissé enivrer par l’« Ode aux pommes » n’étonnera que ceux qui n’ont pas passé quelques instants délicieux à lire cet essai, composé par Thoreau quelques semaines avant sa mort en mai 1862 (et publié de manière posthume en novembre). Loin d’être « simple, rustique, à l’image de H. D. Thoreau » comme l’éditeur l’affirme un peu rapidement en couverture, cette oeuvrette me paraît résumer de la plus charmante façon la vision idyllique et pourtant réaliste que Henry avait du monde, de la nature et des hommes.

 

Quel talent ! Il faut le faire tout de même :

écrire 77 pages (même notes, photo et titres compris) sur la variété, le goût et la beauté des pommes ! quel lyrisme, à la fois joyeux et émouvant, teinté de cette touche d’ironie légère, très pince-sans-rire, typiquement anglo-saxonne, qui fait le lecteur sourire avec l’auteur.. « Je cueille souvent des pommes sauvages d’un bouquet si riche et épicé que je m’étonne que tous les exploitants de vergers du monde n’aient pas voulu un jour s’en procurer un scion, et je ne manque pas d’en garnir mes poches. Malheureusement, lorsque, une fois retiré dans mon étude, j’en tire une de mon bureau, je la trouve étonnamment grossière, aigre à irriter les dents d’un écureuil et à faire crier un geai » (p.46).

 

Quelle écriture superbe !

encore un exemple, extrait du chapitre sur « leur beauté » : « Presque toutes les pommes sauvages sont ravissantes. (…) Voilà les pommes comme je les aime, d’une pureté indicible. Les pommes, non pas de la Discorde, mais de la Concorde ! Pas si rares pourtant que le plus simple des hommes n’en puisse avoir sa part. Peintes par les frimas, certaines d’un jaune clair et éclatant, ou rouges, ou pourpres, comme si leur sphère, entraînée par une rotation régulière, avait pu jouir des influences égales du soleil sur toute sa surface. Certaines se parent de la plus imperceptible touche de rose qu’on puisse imaginer, d’autres sont maculées de profondes traînées rouges comme la robe d’une vache, ou de centaines de vaisseaux sanguins réguliers rayonnant de la fossette de la tige à l’extrémité de la relique florale, comme des lignes méridiennes, sur un fond à la teinte de paille. (…) et d’autres encore sont parsemées de nœuds, de taches de rousseur et de pincées de poivre côté tige, avec de petites pointes pourpres sur fond blanc, échappées comme par accident du pinceau de Celui qui colore les feuilles d’automne. Il en est également qui sont parfois rouges à l’intérieur, comme imprégnées d’un beau feu, nourriture féerique, trop belles pour être mangées, pommes des Hespérides, pommes du soleil couchant ! ».

Je ne vois guère que Colette pour peindre si précisément un fruit et s’extasier ainsi !

 

Mais qu’on ne s’y trompe pas :

Thoreau a une véritable démarche scientifique fondée sur la recherche et l’expérimentation. Ses errances campagnardes sont des occasions de botaniser, enregistrer et classifier. Son enthousiasme est enraciné dans une observation attentive des choses et des phénomènes. Il faut voir avec quel soin il répertorie les types de pommes et étudie leur rythme de croissance. Leur histoire aussi, ce qui donne lieu à de nombreuses notes savantes, un peu comme les « facéties » de Voltaire sont étayées de pages et de pages de commentaires et références indispensables à leur compréhension… Thoreau ne se laisse pas prendre comme une alouette aux miroirs de ses propres penchants.

 

Ce qu’il veut prouver,

outre l’exigence vitale d’une vie simple et sobre, appuyée sur l’activité physique en plein air, c’est que le fruit sauvage est meilleur et plus sain que le fruit greffé. Il a la certitude intuitive que la désaffection des exploitants de vergers pour certaines espèces amènera nécessairement à une perte de biodiversité : « (…)  quand les arbres ne coûtaient que la peine de les planter. Les hommes pouvaient alors se permettre de placer un arbre devant chaque pan de mur et de le laisser courir sa chance. Aujourd’hui, je ne vois personne planter des arbres hors des sentiers battus, le long des routes et des chemins isolés ou au creux des bois. Maintenant qu’ils ont greffé leurs arbres au prix fort, ils les rassemblent sur un terrain voisin de leur maison et les clôturent. Au terme de cette évolution, nous serons tous contraints de rechercher nos pommes au fond d’un baril ».

 

Quoi de plus moderne que cette inquiétude ? !

Pour en parler, c'est sous la chaise bleue !