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- Les soliloques d'Evelyn

Portrait de Virginie

De la part de « La peau sur les os »

Voila je vous ai relevé quelques extraits qui m'ont bien plu !

8 août 1986

Après que ce sale individu l’eut traitée de tous les noms l’autre jour au supermarché, Evelyn s’était sentie violentée, littéralement violée par les insultes. Elle avait toujours prudemment veillé à éviter ce genre d’incident, terrifiée qu’elle était à l’idée de contrarier les hommes et de provoquer leur colère. Elle avait passé sa vie à marcher sur la pointe des pieds autour d’eux (…)

Et puis c’était quand même arrivé. Or, elle n’en était pas morte, et elle se prit de réflexion. (…)

Quelle était donc cette sourde menace, cette arme invisible braquée sur sa tempe, cette terreur d’être insultée ?

Elle était restée vierge de peur qu’on la traite de putain ; elle s’était mariée par crainte de l’appellation « vieille fille » ; elle avait feint l’orgasme, redoutant de passer pour frigide ; elle avait eu des enfants pour ne pas être accusée de stérilité ; elle n’avait pas été féministe pour éviter l’épithète de lesbienne…

Bref, elle s’était toujours tenue de façon exemplaire et voilà que cet étranger l’avait traînée dans la boue, qu’il l’avait insultée comme le font les hommes quand une femme a provoqué leur colère. (…)

Elle s’arrêta soudain de penser à tout cela, car elle éprouvait un sentiment tout à fait nouveau pour elle, et elle en concevait un certain effroi. Pour la première fois de sa vie, avec vingt ans de retard sur la plupart des autres femmes, Evelyn Couch était en colère.

Fanny Flag

Beignets de tomates vertes, p. 278 et ss

 

1er septembre 1986

Qu’entendait-on exactement par « casse-couilles » ? Ed employait beaucoup ce terme, y ajoutant des variantes (…)« Je risque d’y laisser la peau de mes couilles si je ne fais pas gaffe ! »

Pourquoi Ed avait-il tellement peur pour cette partie de son anatomie ? (…) à entendre les hommes en parler, il fallait se rendre à l’évidence : elles comptaient plus que tout au monde. Mon Dieu, Ed avait manqué mourir quand l’une des deux auxquelles son fils avait droit avait refusé de descendre à la hauteur de l’autre (…) et il avait tenu à emmener son garçon consulter un psychiatre, pour le persuader qu’il était bien un homme à part entière. Evelyn songea que ses seins ne s’étaient jamais développés comme ceux des autres femmes, et personne n’en avait perdu le sommeil.

(…) Elle se souvenait aussi de ce qu’il avait dit de cette femme qui avait osé affronter le patron, et le plus bel éloge qu’il put faire d’elle fut de dire que « cette femme en avait, et bien accrochées ! ».

A présent qu’elle y songeait, elle se demanda en quoi le courage de cette femme avait un lien avec l’anatomie masculine. Ed n’avait pas dit qu’elle avait une « sacrée paire d’ovaires ». Pourtant les ovaires portaient des œufs, et ces œufs-là n’étaient-ils pas aussi importants que le sperme ?

Et par quel miracle cette femme avait-elle franchi la frontière testiculaire la séparant des hommes ? Mais quel funeste destin aussi pour elle que de toujours devoir prouver qu’elle en avait ! Et de quelle taille était sa paire ? Ed n’avait jamais parlé de taille en ce qui concernait ces fameuses bourses. C’était la taille du machin qui allait avec qui les passionnait tant, qui faisait que leur bonheur ou leur malheur dépendait de quelques centimètres de plus ou de moins. En tout cas seul comptait le fait d’avoir des testicules, qu’ils soient petits comme des cacahuètes ou gros comme des pastèques. En avoir ou pas, telle était la question. Et la conclusion frappa Evelyn avec autant de force que si elle venait de découvrir le moyen de léviter ou de marcher sur l’eau. Avoir des couilles était la chose la plus importante au monde. Elle comprenait également pourquoi dans ce monde d’hommes, elle s’était toujours sentie comme une voiture sans klaxon à une heure de pointe.

Fanny Flag

Beignets de tomates vertes p 321 et ss,