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- Mary Godwin épouse Shelley par "F.L."

Portrait de Virginie

Marie Shelley (1797-1851) est une femme de lettres anglaise, romancière, novelliste, dramaturge, essayiste, biographe, auteur de récits de voyage et éditeur.

Née de Mary Wollstonecraft, écrivain féministe et de William Godwin, philosophe politique, elle a été la compagne puis l’épouse du poète Percy Bysshe Shelley. Très méconnue après sa mort, Mary Shelley est perçue au mieux, durant le XIXe siècle, comme l’auteur d’un seul roman, plutôt que comme l’écrivain presque professionnel qu’elle était. Au cours des dernières décennies, la reprise de la publication de la quasi-intégralité de ses écrits a stimulé une nouvelle reconnaissance de sa valeur. Sa vie de lecture et d’études, révélée dans son journal et dans ses lettres et reflétée dans ses œuvres, est mieux appréciée. Mais ce n’est qu’en 1989 qu’une biographie universitaire lui a été entièrement consacrée. Elle est aujourd’hui considérée comme une figure romantique majeure, importante tant par son œuvre littéraire que par ses convictions de femme et de libérale.

En 1816, elle a moins de vingt ans, elle réside au bord du lac Léman, près de Genève, non loin de la villa Diodati louée par Lord Byron. Lorsque le temps ne leur permet pas de sortir, les amis se racontent des histoires de fantômes. C’est au cours d'une de ces soirées que Byron propose à chacun d’écrire un roman inspirant la terreur. Lui ne rédige que quelques pages, plus tard reprises et augmentées par Polidori et publiées par lui sous le titre du Vampire, à l'origine du genre qui inspirera Dracula. Shelley compose une historiette dont il se désintéresse rapidement et qui n'a pas été conservée. Peu après, en rêve, Mary conçoit l'idée de Frankenstein :

« Je vis l'étudiant blême des arts impies s'agenouiller à côté de la chose qu'il avait créée. Je vis le fantasme hideux d'un homme se lever, puis, par le travail de quelque machine puissante, montrer des signes de vie, et bouger en un mouvement malaisé et à moitié vivant. Il faut que cela soit effrayant, car l'effet de toute entreprise humaine se moquant du mécanisme admirable du Créateur du monde ne saurait qu'être effrayant au plus haut point »

Mary Shelley commence son célèbre « Frankenstein ou le Prométhée moderne », publié en 1818, roman-charnière profondément enraciné dans la tradition gothique et romantique et considéré a posteriori comme un des premiers romans de science-fiction.

Substituant l'horreur à la terreur, il relate comment un jeune savant suisse, Victor Frankenstein, crée un être vivant à partir de chairs mortes. L'aspect hideux de l'être l’effraie ; il abandonne son « monstre ». Mais ce dernier est doué d'intelligence et le suit …

Frankenstein est un roman épistolaire, genre littéraire populaire au XVIIIe siècle. Il est composé de plusieurs récits emboîtés. Le premier et principal correspondant, Robert Walton, explorateur, raconte à sa sœur (Margaret Walton Saville) les aventures qu'il vit lors de son expédition maritime vers le pôle Nord. Ses lettres servent d'introduction et de conclusion au roman. Après avoir aperçu un traîneau conduit par un géant, il trouve un autre  traîneau et un homme à la dérive sur un bloc de glace. Il le recueille et le soigne. C'est Victor Frankenstein. Désespéré et désabusé, ce dernier confie à Walton l'incroyable histoire de ses malheurs.

Intervient alors l’histoire dans l'histoire : le récit du monstre. Géant de huit pieds, hideux mais doté de sentiments et capable de réflexion, il a tenté de s'intégrer dans la communauté humaine et a acquis par imitation ses habitudes et ses rites. Cependant, sa laideur et son aspect menaçant ont éloigné tous ceux qu'il rencontre. Ulcéré par le rejet, aigri par l'abandon et par sa solitude forcée, il cherche à se venger de son créateur et sème la terreur.

 

La fascination des sciences

Marie Shelley s'intéressait aux sciences naturelles et elle fait allusion dans le livre à la chimie de Humphry Davy, la botanique d'Erasmus Darwin, la physique de Galvani. La première préface de l’oeuvre, rédigée par Percy B.Shelley, insistait sur la « vérité dont dépend l'histoire sans les inconvénients des contes de spectres et de magie ». Dans la seconde, écrite de sa main, elle évoque la possibilité que le galvanisme réanime un corps mort. Elle est fascinée par l’électricité et les terrifiantes potentialités de la Nature. « Les redoutables pouvoirs à l'œuvre dans la recherche scientifique [lui permettent], selon le schéma miltonien, de réactiver le vieux mythe de l'usurpation de la divinité comme agent de création ».

 

La quête du savoir interdit

Elle est centrale à la poésie romantique, en particulier chez Byron et Shelley. Comme Satan dans le Paradis perdu de Milton et comme Prométhée, Victor Frankenstein est un tempérament rebelle, il veut créer sa vie et construire son propre destin. Mais à l'opposé de Melmoth*, Frankenstein n'a pas pactisé avec le Diable. Son acte relève d'une impulsion généreuse (le monstre lui-même en convient), mais il est possédé par le désir obsessionnel du savant qui « s'acharne à créer comme plus tard il s'acharnera à détruire » (Max Duperray*).

Pour Marie, la soif du savoir conduit au blasphème. La fabrication d'un être vivant, homme né sans l’intervention d’une femme et sans celle de Dieu, assemblé à partir de chairs exhumées de charniers, est une transgression morale. Mary insiste sur l’aspect blasphématoire de la fabrication d’un être artificiel. L’« humanisation » de la créature et ses agissements deviennent une véritable leçon par l'exemple, celui des conséquences d'un acte irréfléchi, donc perturbateur et transgressif. On retrouve ici l'autre sens de « monstre », « monstrum » le signe. Le monstre est lui-même avertissement, mise en garde, signe des dieux, vivant reproche.  Au chapitre VII, Victor s'écrie : « Je ne voyais, en cet être que j’avais déchaîné au milieu des hommes, doué de la volonté et de la puissance de réaliser des projets horribles, (…) que mon propre vampire, mon propre fantôme libéré de la tombe »

Une ironie sous-jacente ?

Max Duperray note que le choix du nom « Prométhée » (dont le sens est « celui qui réfléchit avant »), est un trait d’ironie, donc de recul : ce serait justement la qualité qui manque à Victor, créateur inconscient des implications morales de son acte et des besoins éprouvés par sa créature. A son avis, l'éloquence lyrique des personnages, en particulier celle de Victor, est discrètement minée jusqu’à frôler le grotesque par excès. On peut ne pas le suivre dans cette interprétation et voir davantage dans l’attitude de l’auteur une parodie amusée mais qui ne va pas jusqu’à l’irrespect, qui est essentiel à l’ironie. Il faut remettre ce langage dans son contexte de la poésie et même de la prose romantiques : les excès de plume y sont légion. Il ne faut pas oublier que Mary s’est battue pour faire connaître le talent de P.B. Shelley !

Contrairement à la pensée empirique de Godwin, Mary donne au rêve une importance fondamentale et brosse des personnages comme écartelés entre l’apparence et la réalité. Pour Victor, le rêve devient l'existence réelle, c'est uniquement pendant le sommeil qu'il peut « goûter la joie » Même si l’onirismes'avère essentiel pour son déchiffrement, ce roman met le lecteur en garde contre la tromperie des apparences.

 

Le dernier homme

Dix ans après « Frankenstein », qui stigmatisait l'orgueil impie de l'homme prétendant s'égaler à Dieu, « Le Dernier Homme » est une nouvelle variation sur le thème du châtiment d'une espèce condamnable et condamnée. L'intérêt de ce conte réside dans sa philosophie très noire, reflet de l'état d'âme de la première génération romantique en Europe, pessimiste et nihiliste, y compris de certains auteurs français comme Musset ou Nerval.  Mary Shelley n’a pas l’optimisme de ses célèbres parents, elle n’a pas foi en la théorie de Godwin qui postule que des individus rationnels peuvent lentement transformer la société et que l’humanité peut en fin de compte être améliorée.

« Frankenstein » et « Le dernier homme » insistent sur le manque de contrôle de l’individu sur l’histoire et l’insignifiance ultime du monde.

 

Postérité

Une confusion s'est opérée avec le temps dans l'esprit du public entre Victor Frankenstein et le monstre qu'il a créé. La méprise, qui date de la pièce de Peggy Webling (1927), a été renforcée par le cinéma. De plus en plus fréquemment, on appelle Frankenstein la créature qui, à l'origine, n’a pas de nom. Elle apparaît parfois dans des œuvres qui utilisent le nom de Frankenstein bien que le personnage de Victor n'y figure pas.

Autre malchance, une grande partie du public rencontre Mary Shelley pour la première fois à travers une adaptation, depuis la première adaptation au théâtre, en 1823, jusqu'aux films du vingtième siècle, tels que la première version de 1910 ou les versions plus célèbres du Frankenstein de James Whale en 1931, le Frankenstein Junior de Mel Brooks  en 1974 et le Frankenstein de Mary Shelley et de Kenneth Brannagh en 1994.

* Sa mère avait publié Défense des droits de la femme en 1792 ! (le mot féminisme n’apparaît que pendant les années 1890).

*Le Vampire est une nouvelle écrite par John William Polidori, publiée en 1819 dans The New Monthly Magazine, issue d’un brouillon de Lord Byron écrit à la Villa Diodati lors de l’été qu’ils y ont passé ensemble avec le couple Shelley en 1816. Cette nouvelle n’est pas la toute première apparition du vampire dans la littérature, mais ce texte popularisa le thème. Dans le but d’attirer l’attention des lecteurs, le Vampire paraît tout d’abord sous le nom de Lord Byron, ce dont le poète devra se défendre.

*Max Duperray : Enseignant-chercheur, spécialiste de la littérature fantastique et du roman gothique,  Max Duperray a été le premier directeur du Laboratoire d’Études et de Recherche sur le Monde Anglophone (LERMA, université d'Aix-Marseille).

*John Melmoth, personnage principal de « Melmoth, l'homme errant » qui avait passé contrat avec Satan, roman gothique anglais de Charles Robert Maturin  (paru en 1820).