Huit personnes se sont retrouvées sous le thème « Japon sous les sakuras ». Une bibliothèque accueillante où l’odeur du café et du thé à la menthe nous invite déjà aux voyages et comme toujours nos deux hôtesses bienveillantes.
C’est NG qui a débuté avec un roman d’Aki Shimazaki « Zakuro, au cœur du Yamato» aux Editions BABEL.
Deuxième volet de la grande fresque 'Au cœur du Yamato', 'Zakuro' évoque avec délicatesse et retenue un fait méconnu et sombre de l'histoire du Japon moderne, à savoir l'emprisonnement longtemps après la fin de la seconde guerre mondiale de soldats japonais dans les camps soviétiques.
Le narrateur est Monsieur Toda. Son père qui a été envoyé en Sibérie, n'en est jamais revenu. Après ça, la vie a repris son cours pour Monsieur Toda et ses frères et soeurs, mais pas pour leur mère qui attend toujours le retour de son mari, 25 ans après et même si elle est désormais atteinte de démence. Monsieur Toda le retrouvera, marié et vivant à seulement 25 kilomètres de sa famille…
Très beau livre poétique et thème récurrent car c’est une pratique assez courante au Japon et ailleurs…. A voir le faux seigneur de Caille, condamné aux galères non pour usurpation d’identité mais pour bigamie au XVI siècle.
MP nous propose « Le convoi de l’eau » d’Akira Yoshimura aux Editions BABEL.
Cinquante ouvriers construisent un barrage dans une haute vallée sous la conduite d’un chef de chantier. Perdu dans la brume, tout au fond d'une vallée mal connue et difficilement accessible, se révèlent les contours d'un hameau, un cimetière avec des stèles, une source d’eau chaude. . Les travaux ne sont pas remis en question par cette découverte : le village sera englouti sous les eaux. Les ouvriers s’en inquiètent. Où iront les habitants ?
Le narrateur, bizarre, possède les os de l’orteil de sa femme dans une petite boite. C’est lui l’assassin, il a fait de la prison pour cela. Il a postulé sur ce chantier pour changer de vie.
Au cours du terrible chantier, alors que la dynamite éventre la montagne et ébranle les maisons, le destin du narrateur entre en résonance avec celui de la petite communauté condamnée à l'exil. C’est l’affrontement entre deux mondes : la ville, les ouvriers, le chantier et d’un autre côté, le village, la nature virginale.
Dans des paysages dont la splendeur contraste avec la violence fruste des mœurs, cette fable sombre retrace un combat tellurique et intimiste d'une poésie inoubliable. A lire aussi les petits romans cruels de Yoko Ogawa dont est tiré un film avec Juliette Binoche.
B. R présente « Le loup d’Hiroshima » de Yuka Yusuki aux Editions Pocket.
Il s’agit d’une auteure contemporaine-japonaise née en 1968 qui a déclaré dans une interview qu’adolescente, elle dévorait les romans d’Agatha Christie, de Maurice Leblanc, etc … au lieu de lire des mangas pour filles. A 39 ans, elle a commencé à recevoir un prix pis d’autres ont suivi.
Le loup d'Hiroshima, Grand prix de l'association des écrivains japonais de littérature policière 2016, a connu un vif succès au Japon avec 300 000 exemplaires vendus. En mai 2018, il a été adapté au cinéma par le réalisateur Shiraishi Kazuya.
Dès les 1ières lignes, nous sommes écrasés par la chaleur étouffante qui règne à Hiroshima et qui perdurera tout au long du roman. L'écrivain nous met rapidement en présence d'un jeune policier, sans expérience, dont un collègue chevronné va devenir le mentor - parallèle entre un maître aux méthodes peu orthodoxes et son disciple naïf et sincère qu'il entend former à son image. Parallèle aussi entre le vice et la vertu, la police japonaise combat les yakuzas - pègre ou mafia - qui excelle dans divers domaines criminels : trafic de drogue - d'armes - racket -proxénétisme.
Notre duo de policiers doit s'occuper d'une enquête un peu spéciale, un comptable a disparu - mais il ne s'agit pas de n'importe quel comptable même s'il est dépeint comme un homme effacé - terne, cet homme a disparu depuis des mois et il s'occupait des affaires d'un groupe de Yakuzas - s'agit il de la vengeance groupe adverse ? – ce comptable détenait-il des secrets ? Avait- il dérobé une grosse somme d'argent avant de prendre la fuite ?
La note de lecture complète est à retrouver dans l’onglet « Notes de lecture ».
M. B propose un écrit de Julie Otsuka « Certaines n’ont jamais vu la mer » aux Editions 10 – 18.
On apprend un épisode de l'Histoire peu connu : l'envoi de jeunes filles japonaises aux Etats-Unis.
Au XXième siècle, des jeunes femmes japonaises partent aux USA, vendues par leurs parents, et vont trouver maris. A fond de cale pendant des semaines, elles vivent des aventures folles.
L’écriture de ce roman ne permet pas d’identification car le sujet employé est toujours « nous », comme une sorte de litanie qui nous fait vivre mille expériences en simultané, des fragments d’histoires de « nous ».
Arrivent les années 40 et la guerre, les américains les chassent au fond des terres, elles repartent avec rien et recommencent leur vie à 0… Victimes impassibles du rêve américain.
J.I nous conte « Les belles endormies » de Kawabata aux Editions Le livre de poche.
Les belles endormies est un roman magistral de Kawabata. Il s’agit ici de ces jeunes filles qu’on drogue afin qu’elles puissent être plongées dans un profond sommeil. Elles sont ensuite placées, nues, dans un lit qu’elles partageront avec un vieillard dont elles ignorent tout de l’existence. A leur réveil, le vieil homme ne sera plus là pour les effrayer.
Ce roman décrit le crépuscule d’une vie. Kawabata condense et cristallise dans son écriture les désirs avortés, les amours perdus ainsi que la fuite du temps et de la jeunesse. Il est une allégorie de cette confrontation entre la jeunesse et la vieillesse.
Les phrases sont d’une lucidité corrosive : « Dans cette maison venaient des vieillards incapables désormais de traiter une femme en femme, mais dormir paisiblement aux côtés d’une fille pareille était sans doute encore une de leurs consolations illusoires dans leur poursuite des joies de la vie enfuie : voilà ce qu’Eguchi comprit à sa troisième visite dans cette maison ».
Ces jeunes femmes-objets permettent aux vieillards de toucher cette jeunesse perdue, de se souvenir, d’exacerber leurs mémoires de leurs émotions passées. Kawabata en fait un roman cruel et poétique, ironique et nostalgique.
Puis « Tokyo Vice » de Jake Adelstein aux Editions Marchialy présenté par N.T
Premier ouvrage des jeunes éditions Marchialy, Tokyo Vice est un de ces livres dont les journalistes américains ont le secret et que l’on appelle la creative nonfiction.
Jake Adelstein raconte comment, après des études qui l’ont mené à Tokyo il a réussi à intégrer la rédaction du Yomiuri Shinbun, l’un des plus grands quotidiens japonais. Affecté au service Police-Justice, il découvre une autre facette de la culture japonaise et s’intéresse peu à peu aux yakuzas. Plongeant de plus en plus dans les nuits interlopes de Kabukichō ou Roppongi, Adelstein soulève quelques loups et s’intéresse en particulier de très près au trafic d’êtres humains. Une enquête qui va lui valoir de voir sa tête mise à prix par le Goto-Gumi, branche du Yamaguchi-Gumi, le plus important gang yakuza du pays.
A la fois description du fonctionnement d’un quotidien japonais à deux parutions par jour, cet essai décrit également la difficulté de ce journaliste à se faire accepter en tant qu’étranger. C’est un véritable documentaire.
Un parallèle est fait avec la vie du journaliste, Julien Assange ( rédacteur en chef et porte-parole de WikiLeaks) qui est encore menacé aujourd’hui….
A présent, D.P nous parle de « Oreiller d’herbes » de Natsume Sôseki aux Editions Payot et Rivages, édité en 1906
"Oreiller d'herbes est singulier par son écriture, impressionniste, poétique, et par son projet même. Un peintre se retire dans une auberge de montagne pour peindre et réfléchir sur son art, sur l'acte de création. L'atmosphère subtile et poétique d'Oreiller d'herbes est admirablement rendue par les traducteurs."
Qu'est-ce que la sensibilité artistique ? Qu'est-ce que la création ? Qu'est-ce qu'une sensation ? Comment distinguer l'art japonais de l'art occidental ? Voilà autant de questions que se pose le peintre qui observe la nature mais aussi les êtres humains. Il ramène tous les arts à la peinture. Il confronte la modernité et la nature. C’est un livre de confessions.
Puis, il nous expose « Le fusil de chasse » de Inoué Yasushi aux Editions Le livre de poche
C’est un court roman épistolaire dont l’origine est un rapprochement entre un fusil de chasse et l'isolement d'un être humain. Le narrateur qui ne porte pas d'intérêt à la chasse, a accepté d'écrire un poème pour la revue d'un ami.
Après deux mois sans aucune réaction de la part des lecteurs, il reçoit, d'un homme qui s'est reconnu dans le chasseur de son poème, une missive contenant trois lettres que lui ont adressé son épouse, sa maîtresse et la fille de cette dernière. Chacune raconte ce qu'il n'a pu voir ou comprendre.
Il émane des mots de ces femmes une étonnante lucidité, ainsi que beaucoup de respect et un sentiment présent de libération, malgré la pudeur, la blessure, la tristesse, la solitude, les regrets, les remords, la culpabilité.
Avec pudeur et poésie, Yasuki Inoué explore les tourments de l'amour et leurs conséquences.
N. G propose ensuite « Kafka sur le rivage » de Haruki Murakami aux Editions 10 – 18
Un roman complètement ubuesque, invraisemblable, kafkaïen qui raconte l’histoire rocambolesque de deux personnages, Kafka Tamura, jeune adolescent de 15 ans qui fuit une malédiction, et un vieil homme simple d’esprit qui a quitté son domicile.
Ces deux aventures sont menées parallèlement, par l’auteur et malgré l’absurdité de ces histoires qui nous intriguent, il nous tient en haleine.
Durant sa fugue, le jeune garçon abandonné par sa mère à l’âge de quatre ans fait différentes rencontres, il arrive dans une bibliothèque privé où le chargé d’accueil est un transgenre, et où Kafka tombera amoureux de la directrice.
Le vieil homme était un enfant doué, un élève très brillant qui suite à un phénomène inexpliqué durant la dernière guerre, a perdu connaissance. Il est resté dans le coma durant deux semaines et à son réveil, il ne savait plus qui il était, n’a plus reconnu ses parents, il ne savait plus ni lire ni écrire.
Tout est métaphore, poésie et fantastique dans ce roman initiatique.
N. G nous présente aussi « Le bureau des jardins et des étangs » de Didier Decoin aux Editions Stock
Voici un roman magnifique, très poétique qui se déroule à l’époque Heian au XIIième siècle.
Un pêcheur de carpes, fournisseur du Bureau des Jardins et des Etangs de la Cité impériale, se noie. Sa jeune veuve est chargée par le magistrat de ce petit village et de ces habitants de porter les carpes que son mari avait pêchées avant sa mort, pour qu’elles repeuplent les étangs de la cité impériale.
Elle va entreprendre un long chemin empli d’embûches, de mauvaises rencontres, de trahisons, de voleurs de carpes seulement, riche de quelques poignées de riz et de la mémoire des heures éblouissantes auprès de l’homme qu’elle a tant aimé.
A savoir: La France et le Japon n'ont noué de relations diplomatiques qu'en 1858; et c'est seulement dix ans plus tard, avec la restauration Meiji, l'industrialisation, la signature de traités d'échanges commerciaux, que le Japon s'ouvre vraiment à l'Occident et à la France en particulier. Le premier livre français traduit, c'est «le Tour du monde en quatre-vingts jours» de Jules Verne (en 1878)... La première trentaine de Français invités sont alors des professeurs d'art militaire; et l'on n'apprend le français au Japon que depuis 1889 (première faculté de lettres française à Tokyo).