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Joyce Kornbluh : Wobblies & hobos, Industrial Workers of the World. Agitateurs itinérants aux Etats-Unis (1905-1919) (parution en France : 2012)
Joyce Lewis Kornbluh, née aux USA en 1928, est une avocate, universitaire, éducatrice et militante, spécialisée dans le mouvement ouvrier américain et le statut social et économique des femmes. Elle a aussi écrit « Rebel voices » (Voix rebelles, Anthologie de l’IWW), en 1964 (publié en français en 2011).
Wobblies & Hobos relate l’histoire de l’association Industrial Workers of the World, IWW, syndicat américain fondé en 1905 par des militants radicaux et qui joua un rôle essentiel dans la lutte des classes aux Etats-Unis, notamment dans l’ouest du pays.
L’IWW était née en opposition au syndicat confédéral corporatiste, raciste et chauvin, AFL, fondé par Samuel Gompers en 1886. Les militants, appelés Wobblies, recrutaient parmi les travailleurs non qualifiés : main-d’œuvre féminine sous-payée du textile, mineurs et journaliers noirs comme blancs, immigrés fraîchement débarqués et parlant à peine l’anglais, et surtout travailleurs saisonniers qui sillonnaient le continent en resquillant dans des trains de marchandise, les vagabonds du rail. Ce sont essentiellement les hobos qui diffusèrent sa fameuse « carte rouge », même s’ils n’en faisaient qu’un usage intermittent.
L’IWW organisa aussi bien les travailleurs de l’industrie du bois dans les grandes forêts reculées du Nord-Ouest, que les journaliers de l’agriculture extensive en Californie et dans le Middle-West. Elle était particulièrement bien implantée parmi les mineurs du Montana et du Colorado et organisa de nombreuses grèves dures dans le secteur minier.
Préconisant la « grève des bras croisés ou des mains dans les poches », le sabotage et le boycott (considérés comme non-violents), ses militants se firent connaître par une virulente campagne pour la liberté de parole et le droit de protester dans la rue, dont un épisode tragique en 1909 à Everett, dans l’État de Washington. Ils fomentèrent de nombreuses grèves avant et pendant la guerre de 1914-1918, en particulier dans l’industrie du textile, qui employait une population immigrée, surtout des femmes et des enfants, dans des conditions épouvantables. Les plus connues sont celles de Lawrence, Massachussets (1912), la grève « du pain et des roses » initiée par des ouvrières polonaises, et de Patterson, New Jersey (1913).
Il va sans dire que ces luttes contre les milices patronales alliées aux forces de police locales coûtèrent très cher aux militants en emprisonnements, quelquefois de très longue durée, en passages à tabac, en expulsions et fusillades. Anti-capitalistes, anti-nationalistes, anti-militaristes, les wobblies s’opposèrent à la Première Guerre mondiale. En septembre 1917, lors de l’entrée en guerre des USA contre l’Allemagne et ses alliés, les agents fédéraux envahirent locaux et domiciles privés pour saisir des tonnes de documents qui servirent aux innombrables procès et condamnations à l’emprisonnement pour « trahison » et « sabotage de l’économie en temps de guerre » .
L’IWW ne s’en releva pas, même si ce syndicat existe encore de nos jours à l’état de groupuscule.
Le livre de Mme Kornbluh nous montre les figures de proue du mouvement : Joe Hill, aventurier et chanteur d’origine suédoise qui fut condamné à mort dans l’Utah pour un meurtre qu’il n’avait pas commis, Harry McClintock, troubadour qui deviendra l’un des chanteurs de country music les plus célèbres de son temps, T-Bone Slim, poète-ouvrier à qui l’on doit de nombreuses chansons de l’IWW. Leurs « compagnons de route » se nomment John Reed, Jack London, Upton Sinclair, John dos Pasos, grands écrivains américains des temps héroïques de la lutte des classes aux Etats-Unis.
Ce livre magnifique se compose d’une histoire thématique et chronologique de l’IWW écrite par l’auteur ; de documents (chansons, poèmes, récits, témoignages d’époque) ; de 110 illustrations (photos, dessins de presse). Il contient un CD de 22 chansons : blues inédits écrits et chantés par des hobos noirs dont la plupart sont devenus célèbres à défaut de devenir riches (comme Sleepy John Estes) et des chants ouvriers et protest-songs dus à la plume de Joe Hill, de T-Bone Slim ou d’autres.