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Pour la première, la couleur est annoncée d’emblée : la « Chambre ardente » était le nom du tribunal d’exception qui fut créé pendant la seconde moitié du XVIIè siècle
pour l’instruction et le jugement de l’empoisonneuse Catherine Deshayes, épouse Monvoisin, dite « la Voisin », et de ses complices, trois ans après l’exécution par décapitation de Marie-Madeleine Dreux d’Aubray, marquise de Brinvilliers, à la suite de l’effroyable « Affaire des poisons ». Cette affaire d’Etat, aux ressorts sociaux et politiques compliqués, bouleversa la Cour, la Ville et le Royaume, tant ceux- et surtout celles- qui y étaient impliqués étaient proches de Louis XIV. Elle ne trouva son épilogue qu’en 1709 quand fut décidée la destruction des dossiers pour qu’ils connaissent un « éternel oubli ». Mais il y avait des copies cachées…
Le roman de John Dickson Carr, paru en 1937, comporte une double « énigme en chambre close », avec un premier dénouement rationnel et un second dénouement jusque là inédit en matière de littérature policière. Il est célèbre à ce titre et aussi parce qu’il est le seul ouvrage de Carr qui soit d’inspiration fantastique.
« Une situation étonnante au départ, ce qui conduit à des problèmes qui ne cessent de se compliquer – alors que tout est parfaitement clair grâce à l'art de ce maître de l'intrigue… On nous donne également une explication rationnelle et possible des événements, mais l'odeur de soufre surmonte le sens donné par les faits et rend l'histoire hybride. » Barzun, Jacques, & Taylor, Wendell Hertig, A Catalogue of Crime, New York, Harper & Row, 1971.
Le démoniaque sous l’apparence de l’innocence. Tel pourrait être le sous-titre de ce livre, dont il n’est, bien sûr, pas question de vous dévoiler l’intrigue ni la fin. Ainsi que je l’ai dit en le présentant le 10 octobre, les ficelles peuvent apparaître un peu grosses au lecteur d’aujourd’hui, mais il est certain que ce roman extrêmement habile, assez envoûtant, peut encore susciter bien des frissons entre les mains de gens sensibles.
« La main de marbre », paru en 1932, est peut-être moins connu que « La chambre ardente » mais de mon point de vue, lui est bien supérieur.
Essentiellement à cause de son atmosphère qui est une des plus lourdes et des plus angoissantes que j’aie jamais trouvées dans un livre. Il souffle dès le début, dans la maison Quayle, une terreur sans nom. Sa première victime sera le visiteur, vieil ami de la famille -qui se veut détective amateur-, car elle lui enlève tout sens critique. La peur panique qui est en train de rendre fou le vieux juge est amplement justifiée par l’apparition d’une main de marbre qui court comme une araignée sur les meubles, par pleine lune. Réalité, fantôme, hallucination obsessionnelle issue d’une enfance malheureuse ? On ne sait.
Ensuite à cause de la profondeur des personnages, dont certains nous touchent par leur humanité, d’autres nous inquiètent par leur rôle, voulu ou non, dans l’appréhension hystérique à laquelle tous cèdent.
A cause du personnage burlesque qui dégringole dans cette maison sinistre et dont la lucide intelligence, imperméable au mystère, va découvrir ce qui s’y trame. Ce n’était pas facile d’introduire un personnage hautement comique dans une histoire aussi sombre sans la faire retomber comme un soufflé. JDC s’en sort avec un brio époustouflant.
Enfin pour le contraste abominable entre cette ambiance délétère de fantasmes pathologiques et le côté lamentable d’un meurtre sordide. Passer de ce cauchemar morbide à quelque chose de si banal provoque chez le lecteur un choc psychologique presque douloureux.
Un mystère inexplicable a, qu’on le veuille ou non, une « aura » qui le fait, quelque part, toucher au sublime. Tomber brusquement dans l’évènementiel « ordinaire » et minable, provoque le même réveil pénible que celui du spectateur d’une tragédie bouleversante qui se retrouve derrière le rideau, à regarder les décors en carton et les machinistes ! C’est une merveille littéraire que beaucoup d’auteurs de « thriller » de nos jours feraient bien de méditer.