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- Lettre à un ami lointain - par FL

- Lettre à un ami lointain - par FL

août 16/pascale/Lecture

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Mon très cher Clo,

 

Je comprends bien que tu sois lassé de mes récits d’orages. Qu’y puis-je ? Nous le sommes également par cette succession attendue de matinées éblouissantes, de noirs nuages qui montent vers midi à la queue leu leu et d’après-midis de tonnerre et de pluie mêlée de grêle, pourrissant les lavandes fleuries et le foin en andains. La programmation électronique du climat dont rêvent beaucoup d’auteurs de science-fiction doit être infiniment ennuyeuse. Tu dis qu’il te faut du vivant et du vécu, du vivace et du vibrant ? En voilà ! Le temps de changer ma plume d’épaule et je vais te raconter notre belle après-midi de vendredi dernier.

Ce furent - par exception -  le ciel le plus bleu et la brise la plus légère du monde qui nous escortèrent pendant que nous montions faire nos « devoirs de vacances » à st Auban. Les vacances sont bien agréables et ma foi, des devoirs comme ceux-là, on en redemande !

 

St Auban était brillamment représenté dans ses espèces hivernales et estivales ainsi que les « marches » lointaines (Briançonnet) et la banlieue immédiate (Valderoure et Caille). Nous étions déjà en train de faire honneur aux thés à la menthe fraîche et au jasmin que Nick élabore avec un soin d’alchimiste, quand Pascale surgit, pâle et échevelée. Nous nous exclamâmes de pitié et d’horreur à ouïr son récit embrouillé de livebox incendiée, de sandwich à peine mâché et de virages pris à la corde. MES, toujours aimable, proposa de la dénommer  « Cosette » mais un tel manque de cœur souleva la réprobation générale. « Il y en a toujours qui se prennent  pour Victor Hugo »  susurra quelqu’un, suffisamment haut toutefois pour que tout le monde l’entende. Quelle idée d’asticoter un ours si pareillement mal léché !  Il loucha vilainement en demandant « pourquoi les cheffesses étaient en uniforme ? ». Nous vîmes alors que nos « piliers » avaient revêtu par hasard des tenues presque identiques, à motifs en pois sur fond uni (elles étaient d’ailleurs charmantes, nos panthères, dans leur vêture estivale !). Le charivari fut étourdissant. Il était temps de sonner l’ouverture de la séance. Comme il n’y avait pas de thème imposé, on proposa un tour de rôle qui fut, à peu près, respecté.

 

Béa démarra avec un cauchemar de 450 pages, « Charlie », roman fantastique de Stephen King, pas récent (sorti en 1980) mais toujours aussi prenant et épouvantable. Charlie est une petite fille dotée de pouvoirs diaboliques (la pyrokinésie, tu connais ?). Elle rappelle quelque peu le douloureux personnage de Carrie (du même auteur, paru en 1974) mais l’héroïne est ici une victime. Accompagnée et protégée par son père, elle fuit des ennemis maléfiques et vicieux appartenant à la « Boîte »  - sans doute la C.I.A.-, qui ne reculent pas devant le crime pour récupérer le résultat d’une expérience particulièrement déplaisante et mortelle. Critique familière à King des manipulations  gouvernementales, du mur de silence qui enveloppe des expériences douteuses, des méthodes musclées des services d’Etat, mais aussi belle description des problèmes moraux imposés à une fillette trop jeune pour les porter et de l’amour qui la lie à son père.

 

J.E.A nous présenta un recueil de quatre nouvelles, écrites par Edith Wharton, vedette de la Belle Epoque, l’une de ces américaines cultivées, riches pour la plupart, toutes avides de liberté, qui fuyaient à Paris les contraintes puritaines de leur société. Sous le titre ringard de « La splendeur des âmes », cette femme précocement brillante, que Henry James appelait « un ange de la dévastation », décrit avec « une touche de férocité » (dixit J.E.A.) les moeurs de la haute bourgeoisie new-yorkaise où elle est née. Ces contes cruels parlent de la confusion et l’inconstance des sentiments, de l’absurdité d’une éducation qui impose « l’obligation rituelle d’ignorer ce qui est déplaisant », de l’ennui d’une vie factice. Ils retracent la tyrannie des conventions que les femmes, qui en sont pourtant les premières victimes, entretiennent de mère en fille, toute l’arrogance et toute l’hypocrisie d’une époque « où le scandale était plus à craindre que la maladie ». La nouvelle « Le temps de l’innocence », parue en 1920, a reçu l’année suivante le prestigieux prix Pulitzer.

« Et elle a été portée à l’écran de façon époustouflante par Martin Scorsese en 1993 ». C’est ce que nous annonça, en tonitruance, un MES brusquement réveillé de sa bouderie.

 

B.G. prétendit ensuite qu’accablée de travail, elle avait oublié tout ce qu’elle avait lu.  Elle se souvint toutefois d’avoir éprouvé beaucoup de plaisir à lire « La promesse de l’Océan » de Françoise Bourdin. Ses romans qui s’intègrent dans différents terroirs, racontent les secrets et les passions d’histoires de famille et de métiers. Dans « La promesse », c’est celui de marin-pêcheur.

Une assez vive discussion a démarré alors sur le qualificatif de « roman de gare ». Est-ce dépréciatif ? vraiment négatif ? « Non ! » selon les uns, cela désigne des romans « faciles » et alertes, qu’on lit pour se détendre et se distraire des difficultés de la vie. Un peu comme on prend le train pour changer de cadre. « Oui, certainement ! » selon les autres, en particulier M.P., qui trouve la dénomination totalement péjorative. –« Alors, disons « roman de plage » ont proposé les plus diplomates. « En tout cas, toi B.G., on pourrait t’appeler Socrate ! » dit notre Grincheux de service. – « ??????» - « Tu dis que tu n’as rien à dire, mais tu nous fais dégoiser ce que, nous, nous avons à dire ! c’est de la maïeutique ! » Mais là, MES a raté son coup car il a fait rire tout le monde.

 

M.P. nous parla de Marlen Haushofer et de son roman « Le mur invisible », paru en 1963. Marie nous avait déjà présenté ce livre à Caille en avril 2016 dans le cadre du thème « Ecrire la nature »  (le « Nature writing » américain). Les appréciations des deux lectrices se recoupent : ce roman, où il ne se passe rien, attache le lecteur d’une façon difficilement explicable. Comment peut-on être bouleversé par une simple histoire d’enfermement, à la suite d’une catastrophe dont on ignore tout ? D’autant que celle-ci se démarque des autres innombrables romans post-apocalyptiques par son atmosphère intimiste et presque tranquille.

Une discussion s’est vite engagée dans une atmosphère passionnée. Face à de rudes interventions qu’on peut résumer : « Enfermez une bonne ménagère dans une bulle et elle continuera à faire le ménage ! » et « Lieu clos, complexe de claustration, on dirait l’hallucination d’une schizophrène ! », M.P. a vigoureusement défendu l’autrice autrichienne. Pour elle, il n’y a pas d’incuriosité chez l’héroïne mais de la résignation devant un phénomène auquel elle ne peut rien et qui peut être mortel. Elle n’est pas la version femelle du niais Robinson Crusoë qui s’épuise en travaux superflus. Elle est une femme si ordinaire qu’elle reste anonyme, brusquement seule et coupée du monde, qui doit s’organiser au quotidien mais qui réfléchit. Sa vie a perdu ses artifices, ses repères, ses normes mais cela lui donne l’occasion de remettre sa vie en question, de se redécouvrir et d’une certaine façon de se ré-approprier. Au-delà des mots, ce roman véhicule un message très angoissé, celui de la perspective de la femme dans le jeu des valeurs essentiellement masculines de la société entre 1950 et 1970 et de son isolement lorsqu’elle les transgresse. En 2012, Julian Roman Pölsler en a tiré un très beau film,  très fidèle, admirablement servi par la beauté grave de Martina Gedeck.

 

Pascale, remise de ses émotions grâce à l’absorption d’un considérable nombre de verres de thé, nous a fait part de son amusement et de son émotion à lire « Fendre l’armure » d’Anna Gavalda, recueil de sept nouvelles, paru en 2017, qui parlent des « vraies gens », de la « vraie vie », mais surtout de la solitude. « Presque tous parlent dans la nuit, pendant la nuit, et à un moment de leur vie où ils ne différencient plus très bien la nuit du jour, justement. Ils parlent pour essayer d’y voir clair, ils se dévoilent, ils se confient, ils fendent l’armure » (A.G. dans le prière d’insérer)  Mais P. a été quelque peu rebutée par le « langage de la rue » qu’affectionne cette (pourtant) prof de français. « J’ai même appris de nouveaux mots d’argot ! » nous avoua-t-elle, un peu gênée. Il est certain que les « histoires » d’Anna « coll(ent) parfaitement dans l’air du temps sans avoir l’air d’y toucher » (sic ! Françoise Dargent, du Figaro). Reste à savoir si le langage parlé - bonne technique littéraire au demeurant- ne risque pas d’enfermer un écrivain dans la médiocrité, s’il n’a que cette corde à son arc ! Même s’il va de best-seller en best-seller…pardon, je voulais dire de succès d’édition en succès d’édition…

 

J’ai ensuite tenu à signaler la note sur  « Lettres mortes » de Robert Allison juste parue au blog, pour m’associer au choix fait par Un de l’Escouissier et à la lecture qu’il en a faite. Moi aussi j’ai aimé follement ce livre, paru en 2014, qui est un magnifique chant à l’Absurde. Que deviennent la bravoure et la lâcheté quand on est un  homme égaré dans le Désert  et dans la Guerre ? Que deviennent les « valeurs » pour lesquelles il est censé combattre ? Que vaut la vie d’un individu sans identité et sans mémoire, seul, blessé, abandonné ? Que lui reste-t-il au moment où la Faucheuse est là, sinon ses rêves, ses espoirs, l’idée qu’il se faisait de son futur,  de vagues souvenirs et pourquoi pas ceux d’un autre ? Ce livre m’a fait penser à ce chef d’œuvre : le récit de la bataille de Waterloo dans « La Chartreuse de Parme », vue à travers les yeux d’un garçon de dix-sept ans, complètement perdu et qui ne comprend rien à ce qui se passe. Il y a dans le livre d’Allison quelque chose du « rire absolu » de Stendhal.

 

Puis Nick nous parla de Jean d’Ormesson et d’un de ses derniers livres « Un jour je m’en irai sans avoir tout dit » (2013). Toujours hargneux, MES souffla que ce livre le faisait penser aux « bouchées à la reine » qu’il appelait, étant enfant, les « vide-poches du chef » : des matières blanches, molles, indistinctes, noyées dans une crème suave, rien dans la bouche, rien au corps. N. convint en riant que cette méditation autobiographique sur des thèmes chers à l’auteur manquait de structure et de nouveauté et que la beauté du style  cachait mal l’indigence de l’inspiration. L.C. fit remarquer avec malice que la mort de l’académicien avait été occultée par celle de notre vedette nationale, qui a inondé l’Hexagone d’un déluge de pleurs, providence des gens de journal et de télévision en mal de copie ou d’images.

 

Enfin, Béa termina le tour de table avec « Hannah » de Paul Loup Sulitzer, biographie (très) romancée d’Helena Rubinstein, parue en 1985 (suivie de « L’impératrice », parue en 1986). Le destin fabuleux de cette jeune fille polonaise, montée à la force du poignet au sommet de la réussite industrielle et commerciale à l’orée du XXè siècle, inventant l’institut de beauté et le massage esthétique - inauguré par Colette elle-même ! - peut servir d’exemple de ce que le courage, l’intelligence et l’audace peuvent produire, même dans un monde où les hommes font la loi.

 

Un joyeux brouhaha noya ensuite la discussion. Comme à chaque fois, le gong réveilla certaines mutiques souriantes qui nous jetèrent alors une foultitude de titres comme les Romaines lançaient des couronnes dans l’arène, lorsque les Jeux étaient faits. Ont surnagé dans ce désordre les noms de Diane Peylin, Fanny Flagg (le blog a hébergé de vifs échanges sur les « Beignets de tomates vertes » en février/mars 2017) et d’Alexandra David-Néel, dont on va probablement parler lors de la réunion sur les mandalas. Le nom de cette étonnante aventurière a provoqué une nouvelle crise de fureur de MES qui refuse toute valeur littéraire à ses récits de voyage. S’il vient à l’atelier-discussion du 20 août prochain, j’espère qu’il sera moins agressif. Il faut reconnaître que sa mauvaise humeur a des raisons d’être : en ce moment il est sérieusement malmené, pour son article sur Donald Crowhurst, par un de nos correspondants à la dent redoutable. L’anonymat aiguise les crocs !

J’espère que tes commentaires seront moins acerbes que les siens. Adieu. Donne des nouvelles. Quand reviendras-tu dans nos montagnes ?

Ton affectionnée…etc…



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Commentaires/ 2

  • Portrait de Virginie.
    Virginie. (non vérifié)
    aoû 16, 2018, 10:05-répondre

    Bonjour FL et tous les habitués des rencontres biblihautpays ! Merci pour ce compte rendu, c'est comme si on y était :-) Ma petite participation alors .... Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier. Je 'avais sélectionné pour la rencontre"Voir la vie en gris bonheur" sans avoir eu le temps de le lire. C'est chose faite. C'est un merveilleux roman canadien où l'on retrouve la plume si particulière des auteurs de ce pays. Trois personnes très très âgées décident de se retirer du monde pour vivre dans les bois. Il y a le souvenir des grands feux de 1916 qui ont décimé la région, un peintre halluciné de souvenirs et des histoires d'amour aussi ... oui, oui un beau roman que j'ai apprécié entre deux couches de peinture (pour les non initiés : j'ai six mois de peinture devant moi). Et puisqu'on parle ici de "romans de gare" je vous avoue "Coup de foudre en paréo" histoire de se détendre les neurones sur-stressés ce ces derniers mois :-D Je vous embrasse de "ma" Bourgogne

  • Portrait de pascale
    pascale
    aoû 16, 2018, 10:05-répondre

    Bonjour Virginie et surtout merci pour ta participation! Je t'imagine pleine de peinture, un foulard noué sur tes cheveux d'où s'extirpe un petit pinceau d'artiste.... Alors, la Bourgogne ne te fait pas oublier les joyeux drilles du Biblihautpays ? Et bien tant mieux! Tu nous manques, mais ça tu le sais déjà ;-) . Bise


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