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« Ordre et méthode » (devise d’Hercule Poirot)
Agatha Mary Clarissa Miller, femme de lettres britannique, est née en septembre 1890 à Torquay et morte en janvier 1976 dans l’Oxfordshire. Elle a beaucoup voyagé au Moyen-Orient avec son second mari archéologue, Sir Max Mallowan. Elle a publié 66 romans, 154 nouvelles et 20 pièces de théâtre. Plusieurs titres, dont quelques histoires sentimentales, ont été publiés sous le pseudonyme de Mary Westmacott. Mais c’est comme « Reine du crime », sous le nom de son premier mari Christie, qu’elle est l’écrivain le plus lu de l'histoire chez les anglo-saxons, après William Shakespeare. Elle est aussi, de très loin, l'auteur le plus traduit dans le monde. Les noms de ses deux héros sont aussi célèbres que le sien. L’enquêteur professionnel Hercule Poirot, ancien policier belge réfugié en Angleterre pendant la première guerre mondiale, est un dandy très urbain. Le limier amateur Miss Jane Marple est une redoutable « vieille fille » anglaise vivant dans un petit village de campagne.
« Cartes sur table » (titre original Cards on the table) a été publié en novembre 1936 en Angleterre, l’année suivante aux USA et trois ans plus tard en France.
Agatha Christie est un écrivain de romans policiers novateur et de toute son œuvre, le roman « Cartes sur table » est l’un des plus remarquables sur le plan de la technique du genre. Très dépouillé dans l’intrigue, les décors et les personnages, au point d’en être presque schématique, il est le meilleur exemple des maximes « professionnelles » de l’auteur et de ses détectives porte-paroles : le crime « parfait » est un crime simple. Le meurtrier habile ne tue qu’une fois ; s’il se tait, il reste impuni. Les indices matériels sont secondaires. L’essentiel réside dans la psychologie du criminel. La personnalité de la victime est la clef de sa mort. Seules la réflexion et la déduction logique permettent de comprendre comment et pourquoi un crime a été commis.
Cette perfection technique ne se retrouve que dans le roman « Dix petits nègres » (1939), toujours un lieu clos, où, cette fois, l’auteur accumule les meurtres avec une habileté renversante. Dans un autre roman, également variation sur le thème de l’huis clos, elle accumulera les assassins.*
Agatha Christie aime introduire dans un roman un objet ou une idée d’une autre de ses oeuvres, sans doute pour donner l’aspect de la fluidité de la vie à ses intrigues. Le procédé est ici subtil puisque la trame du livre a été annoncée dans celui qui l’a précédé : « ABC contre Poirot », paru aussi en 1936. Au troisième chapitre de ce dernier, H. Poirot et le capitaine Hastings discutent du crime « parfait » et de ce que chacun entend par là. S’ils devaient en « commander » un, « comme on se fait servir un dîner », quel serait-il ? Hastings, très sentimental et très sot, ne rêve que poisons indécelables, dagues ciselées et mélodrames romanesques. Il fait une moue déçue quand Poirot lui propose un « crime très simple,(…) un crime intime » :
« Imaginons quatre personnes autour d'une table de bridge et une cinquième au coin du feu. À la fin de la soirée, la personne assise près de la cheminée est trouvée morte. L'un des quatre joueurs- quand c'était son tour de « faire le mort »- s'est levé et l'a tuée. Les trois autres, absorbés par le jeu, n'ont rien vu. Ah ! voilà un joli crime ! Lequel des quatre joueurs est le meurtrier ? »
On ne fait pas plus simple… ni plus compliqué !
Au cours d’une exposition de tabatières à Londres, M. Shaitana, syrien très riche et excentrique, convie Hercule Poirot à plutôt venir admirer « ses » collections. Ce personnage qui joue au Méphisto et aime à faire peur, surtout aux dames qui ont des secrets inavouables, a une réputation sulfureuse. H.P., intrigué mais inquiet, se rend au dîner proposé. Il découvre que Shaitana a trouvé très amusant de rassembler autour de la même table quatre personnes qu’il suspecte de crimes impunis : Mme Lorrimer, Dr Roberts, Major Despard, Miss Meredith et quatre autres qui « vivent » du crime : Ariadne Oliver, auteur de romans policiers à succès, Hercule Poirot, détective privé, Colonel Race, des services secrets, Chef de police Battle, de Scotland Yard. Après le dîner dans une ambiance trouble que Shaitana se plaît à accentuer, les invités se séparent pour composer deux tables de bridge, chacune dans une pièce. Celle des « limiers » se tient dans le fumoir, celle des « suspects » dans le grand salon, éclairé seulement de la lumière du feu et de quelques lampes au-dessus des joueurs. Le maître de maison satisfait s’installe au coin de la cheminée.
Un meurtre d’une audace folle…
Le raisonnement de Poirot s’appuie sur les « marques » de la partie -et certains propos des suspects pêchés au cours de quelques conversations insidieuses. Il n’est pas nécessaire d’être un bon bridgeur pour le suivre et déterminer lequel des quatre joueurs est le meurtrier le plus probable. Hélas ! il ne suffit pas de savoir qui a tué pour procéder à une arrestation. Des preuves valables devant un tribunal, Poirot n’en a pas. Il lui faudra donner un sérieux coup de pouce à la chance pour s’en sortir.
A noter que dans « Dix petits nègres », le criminel n’est pas confondu, ce qui est encore plus acrobatique et techniquement parfait.
Pour ceux que ça amuse, rappelons que c’est la première apparition d’Ariadne Oliver, alter ego parodique de l’auteur, femme rondelette aux grands yeux, à l’abondante chevelure incoiffable, courageuse, intuitive et féministe, soucieuse de « son » détective finlandais dont elle ne sait plus comment se débarrasser et toujours encombrée de pommes dont elle fait une consommation exagérée. Sa présence, sa sollicitude pour la jeune et jolie Ann Meredith et son amie, la rivalité des deux jeunes filles pour son amitié et surtout celle du beau major mettent un peu de féminité dans une intrigue très brutale sous des apparences policées, qui est le propre de cet auteur.
* un bel « exercice de style » : renversement de l’hypothèse de travail. Plusieurs meurtres/un assassin dans « Dix petits nègres », un meurtre/plusieurs assassins dans …CHUT !..
PS. Pour les fans : Agatha Christie a probablement composé le nom de son détective à partir de ceux de deux autres professionnels de fiction : Jules Poiret, officier de police français à la retraite et vivant à Londres, créé en 1909 par l'américain Frank Howel Evans et Hercule Popeau, retraité de la « Sûreté » de Paris, petit personnage tout rond, créé en 1912 par l’écrivain britannique Marie Belloc Lowndes.
Bonjour, moi, je trouve pas AC si sèche que ça : la rencontre de Poirot et de Shaitana à l’expo, c’est presque du ciné, on s’y croirait, on entend presque le bruit et les conversations idiotes. La visite de Rhoda chez Mme Oliver, la femme qui écrit des romans policiers, c’est vraiment adorable et vraiment drôle, la fille vachement intimidée et Ariane qui en rajoute avec ses problèmes de pommes et ses problèmes de romancière et avec son détective au nom à coucher dehors!
Bonjour LPO et merci pour ton commentaire ! Jusqu'à présent je pensais être une dévoreuse de livres mais je vois que je ne tiens pas la distance ... Je me fais rattraper de tous les côtés : pas encore eu le temps de jeter un oeil à cet ouvrage d' Agatha qui me tend les bras !