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Comme vous le savez déjà, j’aime Ruth Rendell. Chaque fois que j’ouvre un de ses romans, c’est comme si je montais à bord d’un paquebot de croisière.
On franchit la passerelle, on s’installe, on sort ses lunettes et on part pour une « Destination inconnue », en aliénant toute initiative personnelle. Impossible d’infléchir la route, de modifier le régime des machines, de décider d’une escale ou de faire demi-tour. Il y a dans la dunette un être tout-puissant ou presque, dont on ne conteste pas les ordres et à qui tout le monde obéit, même le Tzar de toutes les Russies s’il était à bord….
C’est exactement ce qui se passe pour le lecteur de Mme Rendell : elle l’embarque et l’emmène où elle a décidé d’aller, à la vitesse qu’elle a choisie, et si son navire trace d’incompréhensibles méandres sur la mer immense, c’est son dessein et il n’y a d’autre choix que se laisser faire…sauf à se fiche à l’eau ou à fermer le bouquin !
Pour le sujet des « pères et mères » choisi pour le mois de juin, un titre s’imposait : « Crime par ascendant », paru en 2002 (en 2004 en France).
En effet, l’épine dorsale du roman est la filiation, c’est à dire les relations des ascendants et descendants, leur succession dans le temps, les liens particuliers entre individus qu’entraîne la procréation, dans la vie affective mais aussi dans la transmission de caractéristiques physiques, dans les structures sociales, le régime des biens et des obligations, les droits et les devoirs.
Malgré son titre en français, assez racoleur, ce n’est pas de la littérature policière, ce n’est pas un thriller, même s’il déclenche chez le lecteur des émotions violentes. C’est un roman à énigme,
le récit romanesque, traité de façon très traditionnelle, d’un homme, Martin Nanther, qui décide de s’intéresser à la vie de son bisaïeul, Henry, et d’écrire la biographie de cet « homme de médecine éminent, () expert des maladies du sang, reconnu en son temps, et () médecin ordinaire de la reine Victoria ».
Le titre anglais« The blood doctor » est percutant et l’attaque de première page ne l’est pas moins : « Sa matière, ce sera le sang. J’ai pris cette décision longtemps avant d’entamer l’écriture de ce livre. Le sang au sens métaphysique de vecteur d’un titre hérité, et le sang comme agent de transmission d’une maladie héréditaire. Les gènes, comme nous dirions maintenant, terme inconnu au XIXè siècle quand naquit et vécut Henry Nanther, et lorsqu’il parvint à une forme de grandeur. Non, en ce temps là, il n’était pas question de gènes. A l’époque, on ne parlait que du sang. Bon sang, mauvais sang, sang bleu, c’est dans le sang, de sang-froid, sang et tonnerre, la voix du sang est la plus forte, l’argent versé pour faire commettre un crime de sang, les liens du sang, écrit avec son sang -la liste de ces formules est sans fin. Combien vais-je en découvrir d’autres, qui s’appliqueront à mon arrière-grand-père ? ».
« Le rouge est mis », si l’on ose dire et teinte toute l’histoire. Dans un contrepoint où tout l’art de la romancière se déploie, les lignes mélodiques sont exposées lentement.
La mélodie principale est la vie d’Henry, homme dont toutes les pensées et tous les actes ont gravité autour de la maladie de l’hémophilie dont était atteinte la descendance de la reine Victoria. Il faut à Martin de longues recherches dans des documents de famille et autres, des entretiens avec des personnes avec lesquelles il ignorait avoir des liens, pour commencer à connaître ce personnage, si secret qu’il ne se confiait pas même à son journal intime. On est heureusement aidé dans cette progression par des tableaux généalogiques en début de livre.
La seconde est un thème public et politique car il ne s’agit rien de moins que la réforme du statut des pairs du royaume et de la Chambre des Lords. Vécue de l’intérieur, cette « crise » institutionnelle est passionnante. Martin est membre héréditaire et menacé de tout perdre. En particulier une assise sociale confortable, des prérogatives désuètes mais bien agréables et une certaine aisance financière que lui rapporte son assiduité aux travaux de la Chambre.
La troisième est extrêmement intime car il s’agit de la vie de couple de Martin et Judith, dite Jude, son épouse exquise. Martin, qui a quarante-quatre ans, est déjà père d’un premier mariage mais Jude rêve d’avoir un enfant. Cette véritable obsession, douloureuse pour les deux conjoints, fragilise leur relation et complique celles qu’ils ont avec quelques amis.
La quatrième est celle des liens entre Martin et son fils de dix-neuf ans, intelligent et fougueux, qui n’est pas facile à vivre. Martin aurait rêvé que « l’Honorable Paul Nanther » prenne à son tour sa place sur « les marches du trône » où les fils aînés des pairs siègent de droit, à condition que l’intéressé, toujours un peu hargneux avec son père, y consente. Cette continuité l’aurait comblé, même s’il se rend compte que son fils ira loin, quoi qu’il fasse.
Plus que jamais, il faut se laisser porter par la musique Rendellienne. « Crime par ascendant » n’est pas un livre qu’on lit entre deux autres ou sur la plage. Il faut prendre son temps, prendre aussi son souffle car le drame est complexe et demande qu’on le suive page après page…
Tant mieux pour le lecteur perspicace s’il comprend, peut-être plus vite que Martin, que sa candeur et son respect aveuglent, l’énigme extraordinaire de la vie de son bisaïeul.
Mais ce n’est pas le seul enjeu de cette œuvre qui est certainement la plus ambitieuse et la plus accomplie de notre reine.
Ce n’est pas vraiment leur fête avec le bouquin que tu as choisi, MES ! vraiment tu as un côté morbide ! tu nous avais déjà servi les Atrides dans le commentaire sur les Tomates vertes, à présent c’est le bloody grand-Pa de Mamie Ruth ! tu n’as pas d’autre exemple de vie de famille heureuse ?
Oh j’aurais pu faire beaucoup mieux ! vous présenter par exemple « Sous les vents de Neptune » ou « L’armée furieuse » de notre amie Fred Vargas ou « En toute impunité » de la grande copine de FL, Jacqueline Harpman ! et l’histoire d’Œdipe, par Sophocle ou un autre, elle est’y pas belle ? Z'y avez coupé ! vous plaignez pas !!! On aura toujours dans la montagne un gentil petit coeur tendre pour nous raconter une belle histoire où ils vécurent très longtemps et eurent beaucoup d'enfants. Tiens, demande à La peau sur les os ! ah non zut ! il y avait des mots aigres-doux dans son enfance, nous a-t-elle dit. Bon, alors qui s'y colle ?
Bonjour à vous deux ! c'est vrai que ça n'a pas l'air "à l'eau de rose" mais il est déjà sur ma liste des incontournables ;-) Pas de nouvelles de Peau sur les Os depuis un bon moment. Vacances ? Bon dimanche et j'espère vous voir mardi prochain à Valderoure !