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- Lettre à Clo - Par F.L.

- Lettre à Clo - Par F.L.

octobre 09/pascale/Littérature

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Mon très cher Clo,

                                    Jours d’automne, jours d’été ? comme le dit très bien J.I. « un bel été avec une lumière d’automne ». C’est exquis. Et plutôt contrasté : il faut déjà chauffer la maison - les matins sont frisquets -, mais on peut encore en début d’après-midi sortir son relax et s’offrir une séance de bronzette de grand beau temps. Nous entrons en douceur dans le train-train de l’année finissante : les cours reprennent, les réunions et les allées et venues aussi. Dans les villages, les tas de bois et de bûches s’accumulent aux portes des maisons, on arrache en vitesse les dernières pommes de terre, quelques retardataires rentrent précipitamment les ultimes rouleaux de foin et bottes de paille. 

 

                                   Mais les festivités culturelles ou gourmandes ne cessent pas pour autant. Nous avons le privilège d’héberger une jeune artiste photographe dont l’exposition à Caille nous a ravis. Imagine un monde dans les tonalités bleu-vert avec des touches de carmin, des détails intimistes scrutés comme à la loupe voisinant avec de larges envols flous, des nus moelleux juchés sur des blocs rugueusement blancs, des bulles sur fond de mer, des arbres sur fond de ciel, la lumière de la pleine lune d’août, blafarde, sur les rocs noirs du Frioul. A la sortie de l’inauguration, nous étions conviés à un de ces petits « pots » pleins de charme qui n’existent qu’ici : un parasol sur un triangle de trottoir, piquette et pissaladière, entre les arômes des fromages de brebis et des confitures des exploitants de la Plaine, les parfums des plantes du marchand de fleurs et l’odeur sèche des couteaux que finit d’aiguiser le rémouleur, avant d’arrêter sa meule et vite traverser la rue pour venir prendre part à la fête. Et ne voilà-t-il pas qu’à présent, nous sommes tous invités à venir avec les pommes, les poires et les coings de nos jardins pour un grand écrabouillage collectif. La communion sociale par le jus de fruits ! Non vraiment ! ce haut-pays, s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer !

 

                                 A côté de ces « instants de bonheur », c’est Tezcatlipoca soi-même qui souffle en tempête sur mes lectures. Je ne parle pas des chats qui seront le thème de la première rencontre de rentrée du club – sujet sans surprise comme sans péril. Mais des coïncidences m’ont fait aborder ces temps-cis le thème de l’enfermement au travers de livres très différents. Je t’avais déjà parlé de Claudie Gallay et de ses personnages emmurés dans leurs secrets. Il se trouve qu’après l’abondant - et vigoureux - échange dans le Blog sur le cas de Donald Crowhurst, j’ai voulu prendre l’avis d’un spécialiste pour nous départager. Hélas, mon très cher ! les psychiatres sont pires que les normands : pas de diagnostic catégorique sur l’éventuelle folie du personnage. En revanche, ce professionnel a fait remarquer que le livre de H. et T. était « très discret sur l’affect » avant le départ pour la course, en clair qu’il fournissait peu d’éléments sur l’existence et la qualité des relations familiales et amicales du futur-faux-navigateur. Il m’a demandé si l’intégralité des journaux de bord avait été soumise à expertise psychologique, mais je ne m’en souvenais pas. Bref, il a davantage soulevé de nouvelles questions que fourni de réponses définitives. Conclusion de ma démarche : Mystère il y a et mystère il restera. J’en connais deux qui n’ont pas fini de grincer des dents…

 

                                 Pendant notre entretien, mon expert, très affable, m’a documentée sur les conséquences psychologiques des épreuves les plus graves, comme les grandes catastrophes naturelles ou les guerres ou les persécutions, claustrations et détentions diverses, sur la vie des individus qui leur ont survécu. La caractéristique la plus générale est le silence dans lequel s’enferment ces rescapés, silence qui peut se prolonger jusqu’à la troisième génération. A ses yeux, vouloir à tout prix faire parler les éprouvés peut leur faire plus de mal que de bien. Comme l’exprime si bien un commentateur sur un site célèbre de la Toile : Témoigner peut être un « baume corrosif de l’âme ». Qu’en penses-tu ?

 

                            Le rapprochement de cette conversation avec les livres de Jean-Paul Kauffmann auxquels je m’étais attelée ces derniers temps a été troublant. J’avais  lu « L’arche des Kerguelen » (1993), « La chambre noire de Longwood » (1997) et « La Maison du retour » (2007) dans l’ordre de parution mais ce fut par pur hasard ! Cela importe peu d’ailleurs car c’est toujours le même livre dans des cadres différents : la mission scientifique de l’archipel des Kerguelen, le domaine de Longwood où l’empereur des français déchu fut relégué et mourut, la maison-refuge au cœur des Landes. Pour moi, ils se limitaient à un pot-pourri de quelques anecdotes et impressions personnelles, d’informations touristiques très « Guide Michelin », de comptes-rendus d’auteurs et d’ouvrages historiques de référence, de commentaires sur les commentaires, livré dans un style terne et relâché qui ne dépassait pas le niveau d’un journal intime. Un exemple tiré de « La chambre noire » : « L’aube couleur de cendre accable la terre toute proche. Le jour qui point n’a rien d’une promesse, et trahit déjà l’épuisement d’une journée qui finit ». Dans le genre pompier, voilà du haut de gamme ! Moi, quand on m’assène ce genre de boulet dès la vingt-huitième page, ça me met de mauvais poil. Déjà, je n’aime guère ces autobiographies-témoignages-confessions. Quand le narrateur-personnage-sujet occupe toute la scène, le lecteur n’est-il pas amené à juger l’homme au lieu de jauger l’œuvre ? 

                                 En fermant les deux premiers ouvrages, je m’étais dit qu’il était assez navrant de se rendre dans des lieux aussi lointains et évocateurs que les Iles de la Désolation et Sainte-Hélène pour en parler si mal et de façon aussi pauvre. Ma mauvaise humeur ne m’avait donc pas lâchée et je me demandais avec acrimonie si, plutôt que l’auteur, nos Immortels n’avaient pas récompensé l’ex-otage, compagnon de captivité de Michel Seurat. 

 

                                 Grâce à l’éclairage inattendu donné par « l’aimable psy » et aux dernières pages du dernier titre, j’ai enfin pu comprendre quelque chose du « monde kauffmannien ». Ce monde, c’est une bulle de verre à travers laquelle se distinguent êtres et choses mais sans susciter grand intérêt. L’ennui et la vacuité sont rois. Un oiseau, un crapaud retiennent davantage l’attention qu’un humain. Les Autres sont des ombres, vaguement menaçantes, dont il vaut mieux se garder, en multipliant les lignes de retraite. Le « portrait » que l’auteur dresse des deux ouvriers qui réhabilitent sa maison est exemplaire : ils n’ont pour lui ni visage, ni parole, ni histoire. Ce sont des silhouettes au sein d’un chaos, dans une nette atmosphère de persécution. A défaut de la vue, le sens le plus sollicité est l’odorat. C’est essentiellement par le truchement des odeurs, puissantes, complexes, omniprésentes,  que se révèle le monde. D’une grande passivité, le personnage central passe son temps à attendre. Dans « L’arche des Kerguelen », les décisions présentées comme arbitraires, voire malveillantes, d’obscures autorités semblent le condamner à une situation très statique mais il ne fait que de rares essais pour explorer ses confins. Il frôle d’ailleurs le désastre quand il se perd, à trois pas de la hutte du bivouac. Le monde extérieur n’est que piège et danger.

                                  Emprise de la geôle. Traumatisme de la captivité. Le rescapé est à la recherche d’un endroit au milieu de nulle part pour s’y rencogner. Aller plus loin ? Peut-être, un jour, qu’il souhaite le plus lointain possible. On a l’impression effroyable d’une âme définitivement en pièces. « L’aimable psy » a eu une phrase terrible, inoubliable : « Un traumatisme, ou on en meurt ou on vit avec ». Avec un mental aussi profondément disloqué, peut-on reconquérir sa vie ? 

 

                                     Tu vois, mon très cher, que, du Paradis à l’Enfer, ce ne sont ni les points d’interrogation ni les points d’exclamation ni les points de suspension qui nous manquent. 

                                     Adieu. Porte toi bien. N’abuse pas de tes forces qui sont grandes. Prends garde aux courants d’air de l’automne.

                                     Ton affectionnée…etc…
 



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Commentaires/ 1

  • Portrait de Pierre
    Pierre (non vérifié)
    oct 09, 2018, 09:35-répondre

    Bonjour, c'est le moment où jamais de ressortir la note de lecture de MES sur Gallay, je suis d'accord avec Amélie, pour une fois. Je trouve que le psy que FL a consulté est bizarre : je croyais que ces gens-là ne pensaient qu'à faire parler leurs clients ? il est authentique ou FL nous a monté un bateau ?


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