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Voici la seconde critique, revue et corrigée par "Le mauvais esprit de service" suite à un commentaire ci-dessous
(la main à la pâte ou le fil à la patte ?)
« La cuisinière » de Mary Beth Keane fait le portrait d'un destin hors du commun et, à travers lui, celui d’une époque de l'histoire des Etats-Unis.
Comme des milliers d'autres émigrants irlandais à la fin du XIXè, Mary Mallon débarque à New-York dans l’espoir d'une vie meilleure. Sans réelle expérience, sans relations, sans recommandations, elle ne peut trouver qu’un emploi de blanchisseuse, qui permet de gagner juste assez pour survivre. Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que l’activité de cuisinière, où elle fait preuve de quelque talent, peut lui rapporter davantage d'argent que celle de lingère. A ce titre, Mary travaille au service de nombreuses familles new-yorkaises aisées et elle a une vie assez heureuse auprès d'un immigré allemand nommé Alfred Briehof. Toutefois, leur concubinage délibéré les met dans une situation fausse dans les milieux où ils vivent. Son compagnon enchaînera les emplois précaires et sombrera dans l'alcoolisme puis dans l'addiction à l'opium et à l'héroïne. La vie de Mary bascule en 1907, lorsque le Dr Soper, expert enquêtant pour le compte des services sanitaires, établit un lien entre la jeune femme et les cas de typhoïde qui se sont déclarés dans son entourage. Face au refus de Mary de se soumettre à des examens médicaux et à l’ablation de la vésicule biliaire (à l’époque, on croit que la vésicule « produit » l’agent infectieux), c'est par la force que les autorités vont finalement la capturer et la mettre en quarantaine à l'hôpital de North Brother Island, non loin de patients tuberculeux. S'engage alors pour Mary une lutte acharnée et quotidienne pour retrouver sa liberté.
La violence
Le cas de Mary est révélateur des fortes inégalités sociales et de la condition ouvrière particulièrement difficile de l'époque, avec des journées de travail interminables, des salaires faibles, des logements insalubres dans des villes surpeuplées, sales, empuanties.
Comme de nombreuses personnes de leur condition, Mary et Alfred se sentent prisonniers de leur statut social et des préjugés inhérents. L'épisode du chapeau est révélateur. Un jour, Mary dépense un peu follement une forte somme d'argent pour s'offrir un très beau chapeau. Par un malencontreux hasard, sa patronne s’est acheté le même et aura tôt fait de rappeler à son employée que, malgré cette coïncidence de parure, elles n'appartiendront jamais au même monde
Episode qui marque Mary et la fait définitivement se convaincre que tout ce qui lui arrive, des accusations dont on l’accable à son enfermement sur l'île et à la manière infantile dont on s'adresse en permanence à elle, n'est que la conséquence logique et inévitable de sa condition modeste et de son mode de vie atypique pour une femme de l'époque. Dès sa rencontre avec le Dr Soper, Mary estime que l'expert évolue dans un monde à mille lieues du sien et de la réalité de son quotidien. Elle ne peut ni comprendre ni accepter d’être internée et soumise sans explications à des examens incessants. Le manque d'expérience et de diplomatie avec lequel les autorités sanitaires traitent son cas ne la braquent que davantage.
L’absence fondamentale de confiance de Mary dans un système social discriminateur explique sa suspicion vis à vis des médecins, son sentiment d'être traquée par les autorités sanitaires et le public et de subir de leur part un traitement impitoyable et arbitraire. Est-elle légale et justifiable au nom du bien collectif cette violence qui fait si peu de cas de la dignité et des droits de la jeune femme et va entraîner une vague médiatique de calomnies –elle sera pour toute l’Amérique « Marie-typhoïde », ennemi public n°1-, sous prétexte qu’elle représente un danger potentiel ? Les services de santé et les tribunaux l'auraient-ils traitée avec autant de brutalité et de mépris si elle avait été une jeune fille issue d’une famille aisée et ayant bénéficié d'une bonne éducation plutôt qu'une immigrée irlandaise vivant en concubinage avec un homme désoeuvré et alcoolique ? On peut, comme elle, se poser la question...
Mary apparaît comme une femme déterminée, prête à tout pour s'en sortir et dont la force de caractère frôle l'obstination au point qu’elle peut parfois sembler bornée. Mary n’aurait sans doute pas les moyens intellectuels de comprendre la notion « abstraite » de porteur sain, à supposer que quelqu’un soit en mesure -et se soucie- de la lui exposer. Mais son personnage n'est pas spécialement attachant. Elle n’est pas une nouvelle Jeanne d’Arc ! elle est certes courageuse et tenace mais aussi étroitement égocentrique, déniant et occultant le danger qu'elle représente pour ceux qui l’approchent. Lorsqu’elle refuse d'arrêter de cuisiner pour autrui, alors que c’est la condition de sa liberté, son comportement est celui d’une véritable tête brûlée.
Mary Beth Keane brosse le monde médical et l’administration sous un jour sans pitié : ils se soucient peu des considérations éthiques, de ce que l'on a le droit de faire au nom de la santé publique. Mary Mallon n'est pas le seul porteur sain de la fièvre typhoïde au début du XXème siècle mais ce concept fait tout juste son apparition dans le milieu médical et elle est le premier cas authentifié comme tel aux Etats-Unis*. En ce temps, l'antibiothérapie est inconnue et les autorités sont démunies, ne sachant comment agir au mieux. La mise en quarantaine de la cuisinière semble s'imposer comme la seule solution permettant d'endiguer la contagion, dans la mesure où la jeune femme témoigne d'une rare force de caractère et s’obstine à rejeter toutes les accusations portées à son encontre.
Il est peut-être regrettable que l’auteur ne présente que le point de vue de Mary Mallon. Car à travers l'affrontement entre la défense de la santé publique par les autorités sanitaires et le combat d'une femme pour sa liberté, c'est en définitive la question de la primauté de l'intérêt collectif sur les libertés individuelles qui est posée et on aurait aimé connaître le point de vue de l’autre partie, peut-être moins tranché et moins machiavélique qu’il n’apparaît dans la version de la victime.
Quelques remarques
* Un porteur sain (parfois appelé porteur asymptomatique) désigne une personne dont l'organisme est infecté par un micro-organisme (virus, bactérie, parasite) sans présenter aucune manifestation clinique. Cette absence de réaction peut résulter soit d'une faiblesse de l'agent infectieux, soit de l'efficacité des défenses du sujet. Néanmoins, un porteur sain peut transmettre une maladie aux autres personnes. A l'époque, près de 400 personnes véhiculant la maladie sans en présenter eux-mêmes les symptômes ont été identifiés aux Etats-Unis. Aucun d’entre eux ne fut confiné à l'isolement comme Marie Mallon.
Le début du roman, exposant la personnalité de Mary et sa vie de recluse est intéressant. En revanche, les développements concernant Alfred, l'homme qui s’efface de sa vie, et le procès qu'elle intente afin de retrouver sa liberté paraissent très longs. On peut se demander comment classer ce livre tant il « colle » à la réalité de la vie de cette héroïne malgré elle. Plus biographie que roman ?
Quant au style, il est un peu plat. Mais c’est une traduction…
Marie Beth KEAN est américaine, d’origine irlandaise, née en 1977 ( a donc 39 ans), diplômée de l’université de Virginie. « La cuisinière » est son troisième roman.
Merci de nous avoir livré cette critique sans concession - le coté positif n'est pas occulté par le côté négatif - en tous cas cela me donne envie d'en savoir plus et d'ouvrir ce roman et d'aller jusqu'à la dernière page pour livrer mon sentiment
Oui Béatrice tu as raison. Ma pile de livres à lire ne cesse de se rapprocher du plafond !
Bjr! Mauvais esprit, là tu es vraiment mauvais! c'est quoi ce panachage ? t'as pompé ! si tu crois que ça ne se voit pas!!! et pourquoi pas un mot sur la fièvre typhoïde ? encore heureux que tu sois assez aimable pour nous dire ce que c'est un porteur sain! ça fait froid dans le dos, ton histoire. je mangerais plus un big mac de ma vie!
Ah je vois qu'il y en a qui suivent ! C'est bon signe ;-)
Je viens de remplacer le premier texte par le second, renvoyé par "Le Mauvais Esprit" ! bonne relecture ;-)
Je le note. Est ce qu on peut le trouver a la bibliotheque ?
Bonjour Estel, non, malheureusement je pense qu' il n'est pas disponible dans nos bibliothèques du haut pays. Il faudrait se rapprocher de chaque bibliothécaire pour lui demander. Mais on peut le réserver à la médiathèque départementale qui l'apportera lors du passage du Bibliobus. Bonne journée !
Salut l’Argonaute. C’est vrai que mon patchwork n’est pas terrible, Troun de l’air ! manque de temps pour lire ce livre avant la réunion et en faire le commentaire. Serais tu d’humeur moins querelleuse si je te me le reprenais ? au moins le découpage ? Mais pour le comment sur la typhoïde, que dalle pas question, la fiche existe comme le « dossier Mary-typhoïde », si proche du livre que, là, tu pourrais dire que Mary B. Keane a sérieusement pompé ! C’est la faute à la modératrice qui a expurgé !!! V., elle est vachement mignonne mais elle est très dure avec moi : elle trouve que je bavarde. Heureusement j’ai laissé un exemplaire papier à la biblio de Valderoure, on verra que je ne dis pas des menteries. Merci, Béatrice, pour ton commentaire encourageant. Tu nous diras si, à la fin de ta lecture, tu as envie de décorer Mary M. ou de lui coller une paire de claques ?…
Bonjour "Mauvais Esprit", Non je ne te trouve pas trop bavard ! J'ai peur que les détails techniques sur la fièvre typhoïde soient un peu longs dans un article ... mais je vois que je me trompe ! Je vais donc demander à l'administrateur au-dessus de moi (si, si il y a toujours un supérieur au-dessus du supérieur, c'est pire qu'au séminaire) si on peut ouvrir une rubrique pour ouvrir les liens dans les textes. Comme ça il suffirait de cliquer sur le mot pour renvoyer sur la page spécialisée. Je me renseigne, c'est promis !