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L’écrivain et essayiste Raymond Jean, ami fidèle de Gabrielle RUSSIER, a rassemblé les lettres qu’elle a adressées à ses amis, ses parents et son mari. Il les a publiées avec leur accord.
Dans l’ouvrage « Pour Gabrielle », il relate comment son regard de professeur à la faculté des Lettres d’Aix en Provence a été accroché par cette jeune femme de 24 ans, aux cheveux très courts, au visage triangulaire, avec quelque chose d’un peu insolite et ingrat dans l’expression, qui faisait penser vaguement à un chat ou à un mouton. A la fin d’un cours il propose à ses étudiants de leur faire écouter, lors d’une prochaine séance, quelques poèmes d’Eluard dits par Gérard Philippe et demande si, dans l’assistance, quelqu’un pourrait prêter son électrophone. Gabrielle lui propose le sien et le jour prévu, elle apporte également un enregistrement différent de ceux du professeur.
Cette première rencontre a été placée sous le signe d’Eluard et, fait troublant, lors de la conférence de presse du 22 septembre 1969, le président de la République, Georges Pompidou s’est référé à un texte d’Eluard pour répondre à la question d’un journaliste sur « l’affaire Russier » par l’un des plus beaux, plus émouvant, et plus poignant « Comprenne Qui Voudra ».
Raymond Jean retrace le parcours brillant de cette étudiante, de l’enseignante à l’écoute de ses élèves, qui prit part aux manifestations de mai 68 à leurs côtés. A cette période, elle est tombée amoureuse d’un de ses élèves Christian de seize ou dix sept ans. Il faut se rappeler que la majorité était à 21 ans, et que la jeunesse aspirait à plus de liberté, à sortir du carcan familial. A cette époque, ce qu’on lui reproche, n’était pas reproché à un homme qui aurait eu pareille histoire avec une de ses élèves.
Les parents du jeune homme, après avoir tenté de les séparer sans résultat, ont déposé plainte pour détournement de mineur. Suite à cette plainte Gabrielle est incarcérée en décembre 68 pendant cinq jours. Christian est placé en institut, puis interné dans un asile psychiatrique à la demande de ses parents. Après une cure de sommeil, il part se reposer chez sa Grand-mère. Le jeune homme fugue et les amants se revoient. Gabrielle est incarcérée une seconde fois en avril 69, alors qu’elle n’a pas été jugée. Déjà très ébranlée par cette histoire, cette nouvelle incarcération injustifiée, la promiscuité de la vie carcérale, elle sombre dans la dépression. Elle en sort le 14 juin complètement détruite. Le 10 juillet, condamnée à un an avec sursis, elle reprend espoir pensant être sortie du tunnel, mais replonge dès le lendemain, suite à l’appel a minima du Parquet.
Dans ses premières lettres de mai à Raymond Jean, Gabrielle l’informe qu’elle est logée à l’Hostellerie des Baumettes, à son mari qu’elle y est en villégiature depuis le 25 avril. Mais au fil des jours son angoisse grandit, ses courriers deviennent des appels au secours, ils sont poignants. Dans ceux qu’elle adresse depuis « La Recouvrance » à son mari, à sa voisine et à l’amie Gilberte, on ressent tout son désarroi, on mesure sa descente aux enfers. Gabrielle est au bout du rouleau physiquement et mentalement, elle est désespérée, sent qu’elle n’aura plus la force de se battre, de remonter la pente, même pour ses enfants pour lesquels elle se fait tant de soucis. La fin de cette triste histoire est connue du grand public. Deux ans après le décès de Gabrielle, le film « Mourir d’aimer » sort en salle.